Grégory Villemin

Les Jours publie aujourd'hui un nouvel article de Patricia Tourancheau, le numéro 14 de sa très intéressante série. Cet article dense et passionnant répond à beaucoup de nos interrogations sur les déclarations des deux membres du couple Jacob lors  de leurs gardes à vue respectives, et sur les informations apportées aux enquêteurs par leur fille Valérie.  Il est disponible ici lesjours.fr  (accès payant, l'abonnement est modique).

Nous apprenons en particulier que Jacqueline Jacob était bien déléguée du personnel comme son époux, et disposait donc des mêmes facilités de circulation et d'absence non justifiables que son époux.

Alors que Marcel Jacob est embarqué par les gendarmes, ce 14 juin 2017, Jacqueline Jacob, née Thuriot, est sommée d’assister à la perquisition de son domicile qui « paraît détenir des pièces ou objets relatifs aux faits incriminés », précise le procès-verbal. À l’étage, dans le vaisselier du salon, sont saisies des photographies du couple, des feuilles « manuscrites par la main » de l’un et de l’autre, et une carte postale de Marseillan-Plage, de Jacqueline à sa fille, afin de les comparer aux écrits du corbeau. Mais c’est en bas de l’escalier en bois, au sous-sol qui sert à la fois de garage et d’entrepôt, que la maréchale des logis-chef affectée à cette tâche trouve le plus d’éléments intéressants à mettre sous scellé : un dossier en carton, intitulé « Procès de la Vologne JM Villemin du 3/11/93 au 16/12/93 », contient 37 articles de presse sur les audiences où le père de Grégory était jugé pour le meurtre de Bernard Laroche et auxquelles les Jacob n’ont pas mis les pieds.

On sait que cette perquisition a aussi permis de trouver le procès verbal d'une réunion syndicale tenue de 14h à 16h45 le 16 octobre 84, pieusement et étrangement conservé depuis 33 ans, mais jamais remis aux enquéteurs, ni en 84 lors de l'audition de Marcel par les gendarmes, ni plus tard lorsqu'il fut interrogé par le Président Simon puis par son successeur le juge Martin. Et donc jamais versé au dossier alors qu'il constituerait la preuve principale de leur alibi. Ce qui ne manque pas d'étonner les enquêteurs, tout comme la lettre adressée à sa soeur Monique  « où il jure n’avoir rien à voir dans l’affaire Villemin », curieusement écrite en 2009 :

« Pourquoi écrire à Monique : “Si tu ne me crois pas, pour moi la vie n’a plus de sens” ? — C’est ma sœur proche, quand j’étais petit, elle s’occupait de moi et je me tournais souvent vers elle. — Quand on lit ces courriers, on pourrait croire que votre famille proche, femme et Monique, vous soupçonne d’avoir participé aux faits. Était-ce le cas puisque nous avons l’impression que vous vous justifiez ? — Non, c’était juste pour prouver si un jour il y avait une garde à vue comme là. » Les enquêteurs trouvent « étrange voire bizarre » que ces missives aient été écrites pile le mois où « une grosse vague de prélèvements ADN dont vous avez fait partie, a été effectuée en décembre 2009 », après la réouverture de l’enquête en 2008*. Pour Marcel Jacob, cela n’a pas de rapport : « Au départ, l’ADN, je ne savais pas trop ce que c’était. Non, je ne trouve pas ça bizarre, j’ai écrit ça pour prouver à ma famille que s’il m’arrive quelque chose… »

Interrogés sur leur emploi du temps le jour du crime, Marcel a un peu la mémoire qui flanche, et Jacqueline refuse carrément de répondre.

Lors de sa troisième audition, à 21 h 45, à la brigade de Longvic près de Dijon, Marcel Jacob consent enfin à sortir de son silence pour s’expliquer – un peu – sur le jour du crime. Le 16 octobre 1984, Marcel Jacob soutient qu’il a commencé son travail à 13 heures puis a participé à une réunion syndicale CGT de 14 heures jusqu’à 16 h 45, comme l’atteste le document conservé chez lui, au cas où… Et après ?, interrogent les gendarmes – Grégory Villemin a été enlevé entre 17 h 05 et 17 h 30. « Habituellement, on allait boire un petit coup dans le local du comité d’entreprise » mais ce jour-là, il ne « peut pas se rappeler » combien de temps ça a pu durer. Marcel Jacob dit avoir ensuite repris son boulot de surveillant des régleurs de machines. Selon lui, c’est sur les coups de 21 heures seulement qu’il a appris, par le contremaître, que Michel Villemin, frère de Jean-Marie et oncle de Grégory, qui travaillait dans l’équipe de nuit à la filature, serait absent, « car il cherchait son neveu Grégory, porté disparu »

Les gendarmes s'étonnent qu'il semble être resté indifférent à cet évènement touchant son petit-neveu, et qu'il n'ait pas participé aux recherches ? Marcel répond qu'il ne veut pas se mêler de "choses comme ça " qui ne "le regardent pas"....

Questionné sur sa « réaction à la connaissance des faits », Marcel Jacob pense tout de suite à une prise d’otage du petit Villemin en échange d’argent : « Je me suis dit : “Ils veulent une rançon ou les embêter.” » .... Les officiers insistent : « Pourquoi avez-vous pensé qu’on ait fait ça pour les embêter ? » Marcel Jacob : « Par rapport aux coups de fil qu’ils avaient déjà eus », les coups de fil du corbeau. Les gendarmes lui demandent s’il ne propose pas son aide parce qu’il est « en froid avec la famille Villemin ». « Ah non pas du tout, rétorque le suspect, on ne se voyait pas souvent mais bon… »

Cette apparente indifférence ne l'a tout de même pas empéché de téléphoner à sa fille Valérie, qui en a témoigné, pour lui demander des nouvelles, non seulement le jour même, mais aussi les jours suivants où il se serait montré très curieux des développements de l'enquête et de ce qui disait à la radio.  On a ainsi confirmation au passage que Marcel pouvait facilement appeler depuis l'usine, alors que « derrière certains propos fielleux du corbeau, on entend des bruits de métiers à tisser. »

On apprend aussi de nombreux détails sur les altercations récurrentes (certaines violentes) qui jalonnent les relations du couple avec les Villemin, et qu'ils avaient toujours cherché à minimiser.

Ainsi que des explications complémentaires  sur la dégradation des rapports avec leur fille Valérie, qui a fini par aboutir à la rupture que l'on sait. 

Ayant quitté l’école à l’âge de 16 ans après un apprentissage de vendeuse, Valérie Jacob travaille alors chez Seb, à Beaumesnil, dans les Vosges, pour un salaire de 4 000 francs par mois, mais donne à ses parents 1 000 francs pour le gîte et le couvert, en plus du ménage. ....  Souvent, Roger et Marie-Claire G., « de très bons copains » de Jacqueline et Marcel Jacob, viennent à la maison ou les accompagnent aux matchs de basket : « Ils faisaient tout ensemble. » Et puis, « un soir, après le repas, le couple G. et ma mère m’ont annoncé de but en blanc que, depuis un moment, Marcel couchait avec Marie-Claire et que Roger couchait avec ma mère. Je leur ai répondu que je ne les croyais pas. » Mais elle a bien été forcée puisque, certaines nuits, « il fallait que je laisse mon lit aux deux couples, m’obligeant à dormir chez les parents de Philippe ». >> (son futur époux)  Ce sont bien les conséquences de ces moeurs imposées à leur fille qui ont précipité  les choses  : << En 1990, ses parents sont venus à son mariage. Puis au mois de décembre, Jacqueline est partie avec Roger, loin des Vosges, dans le Lot : « Mon père était vraiment effondré, il pleurait. » Valérie « a joué à l’entremetteuse » pour rabibocher ses parents. Jacqueline est revenue avant Noël 1990. Et puis elle s’est à nouveau enfuie en avril 1991 pour rejoindre Roger, laissant à Marcel la lettre (« Je te quitte ») saisie par les gendarmes en double exemplaire, au garage. Cette fois-ci, Marcel n’était plus seulement « malheureux » mais furieux : « Il voulait tous les tuer, de Roger aux parents. Il voulait “foutre un coup de fusil” à tout le monde », se rappelle Valérie. Jacqueline finira par revenir.

Marcel a également été longuement interrogé sur sa possible présence au café de l' Hôtel de la Poste le 16 octobre, dont le patron M. Cornillie a permis l'établissement d'un portrait robot lui ressemblant fortement,  ce qu'il a nié malgré les photos de l'époque détenues par les gendarmes, maintenant avoir repris son travail à l'usine après la réunion des délégués du personnel.

« À quoi vous fait penser ce portrait ? » Réponse de Marcel Jacob : « Je ne sais pas. Bernard n’était pas comme ça, je ne vois pas quelqu’un d’autre, je ne vois pas qui ça peut être. » Question : « Peut-on dire qu’à l’époque, vous vous ressembliez physiquement [avec Bernard Laroche, ndlr] ? » « Non », rétorque avec aplomb Marcel Jacob. Pourtant, lorsque le portrait-robot dressé par le tenancier de l’Hôtel de la Poste est paru dans la presse, l’ancienne voisine de Marcel à Aumontzey a « tout de suite pensé à plusieurs individus dont Bernard Laroche et vous-même, son ex-voisin », lui rappellent les gendarmes. Ils le cuisinent sur ce mystérieux client qui a « consommé à chaque reprise une bière » dans ce bistrot de Docelles, autour de l’heure du rapt de Grégory à Lépanges, situé à 6 km, près du lieu de découverte du corps. Le gardé à vue assure ne pas connaître l’Hôtel de la poste à Docelles, et prendre « des demis panachés » quand il va au café.

Les deux adjudants lui rappellent le comportement étrange de ce client qui ne cessait de regarder la pendule, et lui font remarquer que lui même ne cesse de regarder sa montre durant l'interrogatoire. C'est parce qu'il est fatigué, dit il...

Les avocats continuent bien sûr de soutenir qu'il n'y a rien contre leurs clients et ont donc exhumé du dossier un tableau de 84 porteur de la mention "vérifié" en face de son alibi et accompagné d'une cote de pv Pièce n°1139/50 BT Bruyères . Mais les avocats de la partie civile ont aussi procédé à leurs propres vérifications et démontré que ce numéro de pièce correspond en fait au pv de Marcel Jacob lui même,  du 22 novembre 1984, et non pas à celui de son employeur, et « aucun chef de cette usine atteste sur PV de leur présence continuelle le 16 octobre 1984 »

Les gendarmes et la juge d'Instruction  soupçonnent toujours Marcel Jacob et Jacqueline, d’avoir quitté l’usine après 16 h 45 pour se rendre vers le lieu du crime, là où un couple à bord d’une fourgonnette a   été aperçu par deux fois  le 16 octobre.