Extraits de procès verbaux issus de plusieurs témoignages, tirés du livre de Serge Garde, Autopsie d'une enquête, et reconstitués à partir de ses récits compilés.
Lionel VILLEMIN, 12 ans (frère de Jean-Marie et oncle de Grégory)
Je suis revenu de l'école par le car à 17h15. Mon frère Michel regardait la télévision. Ses enfants devaient jouer devant la maison. Puis, mon copain Alici est venu. On a joué avec un arc , dans le pré derrière. On avait à peine commencé que mon frère Michel m'a appelé et m'a envoyé chercher notre mère qui se trouvait chez sa soeur Cunin. Il ne m'a pas dit pourquoi. J'ai filé et j'ai ramené maman et papa.
tu as entendu la sonnerie du coup de téléphone que ton frère Michel a reçu?
Ah ben non! J'étais trop loin de la maison. Peut-être à soixante mètres.
Gilbert COLIN, 53 ans, ébéniste à Lépanges
Le mardi 16, je travaillais dans mon atelier, sur l'établi disposé devant une fenêtre donnant sur la rue des Pins. Vers 16 heures, j'ai aperçu une voiture vert bouteille...mais vous dire la marque, moi, vous savez, à part quelques Citroën et des Peugeot...
Ce n'était pas une Renault 4 ?
Non. elle descendait à allure normale. trois quart d'heures plus tard, vers 16h45, elle repasse au pas. Là je l'ai mieux regardée. Deux personnes à bord. J'ai pas fait attention au conducteur. Mais la passagère assise à l'avant portait un pull à grosses rayures horizontales, noires et blanches.
Vous aviez déjà vu ce véhicule ?
Jamais.
Gilbert MELINE, pré-retraité, a toujours vécu à Lépanges
Depuis 4 ans, j'ai les Villemins comme voisins. Jamais eu d'histoires avec eux. Le 16 octobre dans l'après midi, j'ai fauché en face de chez moi jusqu'à 17 heures. Puis devant ma maison, j'ai nettoyé la lame de ma faucheuse. Disons, une demi-heure.Après j'ai balayé le carrefour entre chez moi et les Villemin. Y avait du gravillon. C'est dangereux pour les vélos. C'est alors que Mme Villemin m'a demandé si j'avais vu Grégory. J'ai répondu non. On a cherché.
L'enfant, vous l'avez vu dans l'après midi ?
Non. En faut je ne l'avais pas vu depuis plusieurs jours.
Avez vous remarqué quelque chose de suspect autour de la maison ces derniers temps ?
Non. Sinon, bien sur, j'aurais prévenu les gendarmes, car les menaces, les coups de téléphone, les lettres et les dégradations sur leur maison et leur voiture, je savais tout ça.
Michel VILLEMIN, 34 ans, ouvrier de filature, domicilié à Aumontzey, oncle de Grégory
Je jure sur la tête de mes gosses que j'ai bien reçu ce coup de fil. Je regardais un téléfilm. Je revois bien la séquence (Selon FR3 Nancy, il était 17h27) ça sonne. Je décroche. J'entends : Allo, comme il y a personne à côté, tu feras la commission. J'ai kidnappé le gosse du chef, ma vengeance est faite. Sa mère est en train de le rechercher partout, je l'ai jeté à l'eau. Et il a raccroché.
Vous avez reconnu cette voix?
C'est celle qui nous a adressé des coups de fil y a un an et demi environ. On l'avait enregistrée sur cassette. Mais cette fois...comment dire? plus rapide. Comme si la bouche avait été masquée par un mouchoir ou avec la main. En fait j'ai été tellement surpris que j'ai peu fait attention au timbre de la voix. Ensuite j'ai fait rentrer mes deux gosses. J'ai vu mon frère Lionel qui jouait avec un copain.
Caissière-chef de Champion
Je suis caissière-chef au magasin Champion. D'après les vérifications que nous avons faites, effectivement un client nommé Laroche a bien acheté le mardi 16 octobre 1984 un lot de 150 bouteilles de vin de Bordeaux, pour la somme de 1265 F payés avec un chèque de la Société Générale. L'examen de la bande de contrôle prouve que ce monsieur n'a effectué que cet achat, à la caisse n°2. Il ne restait qu'une quinzaine de clients derrière lui. Compte tenu de l' affluence moyenne du mardi, on peut situer cet achat entre 17h30 et 18h15, heure de clôture de la caisse.
Pensez vous que la caissière qui tenait cette caisse pourrait reconnaître le client et situer plus exactement l'heure de l'achat?
Comment voulez vous que je vous réponde ?
Jacky VILLEMIN (frère de Jean-Marie VILLEMIN et oncle de Grégoy)
Nom, prénom, âge.
Jacky Villemin, 31 ans, ouvrier de filature. J'habite à Granges sur Vologne. Je suis l'oncle de Grégory. J'ai épousé en 73 Liliane Jacquel. On a un fils. Liliane et moi nous nous entendons bien.
La profession de votre épouse?
Avant notre mariage elle était salariée à la filature, mais elle a arrêté deux ans à la naissance d'Eric. Maintenant elle travaille à domicile. Elle confectionne du linge de maison. Payée à la tâche : 1,20 F pièce. Elle bosse durement pour à peine 3000 F par mois. Elle est aussi correspondante locale du journal la Liberté de l'est.
Vous avez tenté de faire construire une maison ?
J'avais réservé un terrain, mais ça n'a pas marché. On n'a pas reçu l'autorisation de bâtir dessus.
Jean-Marie, votre frère, lui, a réussi.
Oui, c'était à la même époque
Vous n'avez pas été... disons, déçu ?
Pas trop
Quand vous repensez à votre enfance, quels sont les souvenirs qui vous reviennent?
Aucun en particulier. J'étais l'ainé, ce qui faisait que je manquais parfois l'école. Pour aider mes parents. Entre 14 et 16 ans, j'ai appris la peinture en bâtiment, mais ça n'a rien donné.A 16 ans je suis entré à la filature. mes parents avaient besoin d'argent. Fallait que je travaille.
Qui vous a élevé ?
Jusqu'à 10 ans j'ai vécu chez ma grand mère. On m'a dit que mon père me battait souvent, mais je n'en ai aucun souvenir.
Vos relations avec votre famille ?
Elles n'ont posé aucun problème jusqu'au moment où j'ai rencontré Liliane. Pendant un an, nous nous sommes vus en cachette.
Pourquoi ?
Je n'osais pas l'amener à la maison, et elle c'était pareil de son côté.
Vous avez tout de même fini par la présenter à vos parents ?
Oui, mais j'ai tout de suite senti qu'elle n'était pas bien acceptée. Surtout par mon père. Enfin le mari de ma mère. Mes frères, ma soeur, n'ont pas pris partie contre nous. Puis la situation s'est dégradée.
Et Jean-Marie ?
J'ai jamais eu de problème avec lui
Même pendant la période des coups de téléphone anonymes ?
Même. Pendant cette période, on a monté un coup ensemble pour coincer le corbeau.
Quand avez vous appris qu'Albert Villemin n'était pas votre père ?
En 68, je crois. J'avais 15 ans. J'ai entendu une tante dire à ma mère : "Jacky s'est le meilleur". ça m'a mis la puce à l'oreille. J'ai questionné ma mère. Elle a mis deux ans pour me dire la vérité.
Quand ça n'a plus été un secret, comment ont réagi les autres membres de votre famille ?
Michel a du savoir le premier que j'étais un bâtard. Il a eu une réaction violente. Du jour au lendemain il m'a rejeté. Un jour on s'est même battu à l'usine à cause d'un pari que j'avais gagné contre lui. Il ne voulait pas me donner l'enjeu.
Vous êtes bagarreur ?
Au contraire. Je suis très émotif. Dès qu'une chose me contrarie, je me mets à trembler Je fume beaucoup. Je bois trop de café. Faut dire que tous les problèmes familiaux de ces dernières années, ça m'a pas aidé. J'ai déjà été hospitalisé pour hypertension. Je suis incapable de prendre le volant d'une...
Vous avez le permis de conduire ?
Non.
Vous souffrez de cette séparation avec votre famille ?
Terriblement. Je me sens tiraillé entre mes parents et la famille de ma femme. Cent fois j'ai fait le premier pas pour revenir vers mes frères et soeurs, mais à chaque fois quelqu'un nous a mis les bâtons dans les roues. Ces coups de fil, ces lettres, tout s'est passé comme si quelqu'un voulait empêcher que nos relations redeviennent normales. J'ai l'impression d'avoir été manipulé.
Qui avait intérêt à le faire ?
je vois pas qui. Je mène une vie tranquille. Je ne sors jamais. Jamais au bal, jamais au cinéma. Jamais au café. Ma seule distraction c'est la pêche. On sort parfois chez quelques amis, nos anciens voisins.
Quels sont vos horaires de travail?
Actuellement je suis de wek-end. Selon les semaines je bosse 26 heures entre le samedi et le lundi. Vous savez, moi aussi, j'ai été visé par le corbeau. Mon épouse a même enregistré plusieurs appels.
Quand avez vous commencé à recevoir ces appels anonymes ?
Les premiers, c'était vers 81. Puis ça s'est calmé pendant un an. Puis ça a repris. Des appels sans paroles. Parfois des râles. Puis des phrases, des allusions au bâtard. Pendant un moment, Liliane et moi nous avons même soupçonné Jean-Marie. Les appels laissaient entendre qu'il y avait un second bâtard du même père que moi.
Et votre père, vous l'avez recherché ? retrouvé ?
On m'a dit que c'était T. Je ne l'ai jamais vu. Je ne sais pas où il habite.
Que pensez vous de Jean-Marie ?
Il sait se défendre. Un caractère fort. A son usine il a pris la place d'un gars qui s'est suicidé, mais d'après ce que je sais, il est correct dans le boulot. *
Je me souviens qu'avant d'entrer chez Autocoussin, il a bossé un mois à la filature d'Aumontzey. Il y a eu une grève organisée par la CGT. Jean-Marie en était, et il a été licencié à cause de ça.
Quel est votre emploi du temps, l'après midi de l'enlèvement de Grégory ?
Je travaillais chez un voisin, monsieur J. Je le connais depuis 4 mois. Un jour il est venu me donner un coup de main dans la maison. Depuis nous nous aidons mutuellement.
Vous avez déjà envoyé des coups de fil anonymes ?
je jure que non.
Monique VILLEMIN (mère de Jean-Marie VILLEMIN et grand-mère de Grégory)
Avec mon mari, en congé de maladie à la suite d'un accident, nous prenions le café chez ma soeur Suzanne, veuve Cunin. Michel, Suzanne, et nous, nous sommes voisins, à Aumontzey. Vers 17h30, Lionel est venu nous chercher, disant que Michel avait quelque chose d'urgent à nous dire. On est arrivés vite, et Michel nous a dit que Grégory avait été enlevé, mis à l'eau, que c'était une vengeance, et qu'il avait appris tout ça par un coup de téléphone anonyme. Toujours la même voix. J'ai aussitot téléphoné à ma bru, mais Christine n'était pas là. J'ai appelé chez la mère de Christine, pensant qu'elle avait pu y faire un saut avec le petit. J'ai appris plus tard qu'elle était en train de chercher Grégory. J'ai finalement eu Christine, mais pas au premier appel. Je lui ai expliqué le coup de fil anonyme. Elle m'a répondu qu'elle ne trouvait pas le petit. Il était 17h50. J'ai alors téléphoné aux gendarmes. Mais j'avais appelé Jean-Marie à l'usine Autocoussin. Je l'ai eu directement. Ensuite on a filé à Lépanges.
Gilberte Chatel (mère de Christine VILLEMIN et grand-mère de Grégory)
Mardi j'étais seule chez moi. Vers 17h30, Monique Villemin m'appelle. Elle cherche ma fille pour lui dire que Michel a reçu un coup de fil anonyme comme quoi "il s'est débarrassé de Grégory".Je réponds que Christine doit être chez la nourrice, vu l'heure. J'appelle ma fille immédiatement. ça sonne trois fois, puis elle décroche. Je lui dis "le petit?" Elle répond "je le cherche, je le trouve plus" Je crie "mon Dieu, Christine, on te l'a enlevé". Ma fille hurle au téléphone. Je raccroche et je me fais conduire chez elle par le gendre d'une voisine.
A 18h j'étais chez ma fille à Lépanges, quand Jean-Marie arrive. Même pas bonjour. Blanc. Il prend son fusil et remonte en voiture. Si, il a dit "je vais le descendre". Ma fille qui était au téléphone avec les gendarmes leur crie "je veux pas que mon mari aille en prison, il a pris un fusil, recherchez le."
Jean-Marie VILLEMIN
J'étais à l'usine Autocoussin, à la Chapelle devant Bruyères, dans le bureau du chef d'entretien, M.Henri. Le téléphone sonne. Je décroche. La voix demande : "Allo, c'est le chef Jean-Marie ?" J'ai répondu, "non c'est Jean-Marie Villemin". La voix dit "Ah c'est toi Jean-Marie?" Je reconnais alors ma mère. Je lui dis "qu'est ce qui arrive?""Vite, il faut que tu remontes chez toi, il est arrivé quelque chose à Grégory" "Quoi?" je demande. "on l'a enlevé". Il était entre 17h40 et 17h45. J'ai récupéré mon sac, j'ai prévenu mon chef et je suis remonté chez moi. Quand j'arrive à la maison, il y a déjà ma belle mère, ma femme, et mon voisin Gilbert Méline.J'ai pas posé de questions. J'ai pris ma carabine et je suis parti.
Où ? et pour quoi faire ?
A Granges, chez Roger Jacquel. Pour voir si c'était pas lui qui....En route je croise mes parents qui montaient chez nous, conduits par Michel. Arrivé devant chez les Jacquel, j'ai vu deux 4L. J'ai cru qu'il s'agissait des gendarmes. J'ai fait demi-tour.
Quels sont vos liens de parenté avec les Jacquel ?
Ce sont les beaux-parents de mon frère Jacky.
Quelles raisons aviez vous de supposer qu'ils pouvaient avoir enlevé Grégory ?
C'était par rapport à deux coups de fil que j'ai reçus à l'usine, fin 82. Quelques détails m'ont fait penser que le corbeau, c'était eux.
Roger JACQUEL
Je ne comprends pas pourquoi Jean-Marie m'en veut personnellement. Nous n'avons jamais eu de dispute. J'ai moi même reçu des coups de fil anonymes. Le corbeau a tout fait pour orienter les soupçons sur moi.
Josette CUGNIN (directrice de l'école maternelle de Docelles)
A la sortie d'un chemin de terre débouchant sur la D 44, j'ai remarqué à 17h20 les traces humides d'une voiture qui a fait un demi-tour en direction de Bruyères. C'est peut-être important.
Déposition de Christine JACQUOT, la nourrice
Il était environ 16h50 quand Mme Villemin est venue chercher Grégory avec sa R5. Il jouait avec d'autres enfants devant l'HLM et moi, je me trouvais dehors au bas de l'escalier. Elle n'est pas restée plus de 5 minutes. Le temps de discuter un peu, si la journée s'était bien passée, tout ça. Je lui ai proposé de monter boire un café. Elle a refusé. Elle m' a dit qu'elle avait beaucoup de repassage à faire.
......
J'étais restée en bas de mon immeuble à discuter avec des voisines. Brusquement, on voit revenir Christine Villemin seule, au volant de sa voiture. Elle roulait très vite. Elle était en larmes et semblait affolée. Elle m'a demandé si j'avais vu Grégory. J'ai répondu que non. Elle m'a dit...je ne me souviens plus des mots exacts . Quelque chose comme : "ma pauvre Christine, si tu savais tout ce que j'ai enduré depuis plusieurs années" J'ai pensé qu'elle craignait quelque chose.
Tout s'est passé très vite. Elle est repartie aussitot. Il devait être 17h20.
Grégory s'est il déjà sauvé de chez lui pour revenir chez vous ?
Jamais. Bon c'est vrai qu'il aimait bien rester chez moi. Il faisait toujours des difficultés pour repartir avec sa mère.
Les Villemin, vous les connaissez bien ?
Depuis 5 ans. Ils habitaient le même palier que nous. Grégory est né au "Gai champ". Ils ont quitté les HLM peu après sa naissance. Des gens très discrets. Les week-end, jamais à Lépanges. J'ai commencé à garder Grégory presque dès sa naissance. Ils sont venus boire un verre, mais nous ne sommes jamais allés chez eux. Moi si, toute seule. Quelquefois seulement.
Mme Villemin vous avait mis au courant des appels et des lettres anonymes ?
Non. Mais elle m'a parlé de la porte qu'on leur avait fracturée. Elle ne laissait rien paraître.
Sources : Serge Garde, Autopsie d'une enquête